HISTOIRE Il fut un temps, en ce monde, où il n'y avait ni dieux ni mortels. Chose curieuse, ces mêmes dieux et mortels le nommèrent "Néant", comme s'ils pouvaient nommer et connaître une chose qu'ils n'avaient pas connu.
Et donc, si l'Univers est ce qu'il est aujourd'hui, c'est parce que le Néant était... eh bien, seul, justement. Alors il est devenu deux. Pour ne plus être seul. Pour pouvoir sentir l'existence, se sentir exister.
Le néant est devenu Univers par désir de l'autre...
...
Eh oui, vois-tu... Je suis le plus vieux concept de l'Univers ! Étonnant non ?
Rire fémininAlors, qui pourra dire que je n'ai pas ma place ici ? Hm ? Certainement pas toi, non. ♥
Nouveau rire--
Jetés dans un gouffre putride, ils furent.
Nombre d'entre eux jamais n'en sortirent.
Là, leur nid infectieux ils bâtirent.
A leurs cœurs gangrénés, désormais je murmure
De noires idées, de perfides venins,
De douces voluptés et de langoureux desseins.
Venez, petits mortels à qui l'âme sœur manque,
Demain est un autre jour, mes amours,
Soyez confiant
--
Ils étaient des milliers, peut-être des millions, à grouiller sous terre comme des fourmis, depuis que Nasil le tyran les eut précipité en cette prison éternelle qu'était le Tolväar. Les premières années furent d'une cruauté sans nom pour ces pauvres ères, livrés à eux-même et à leur propre fin. Ni eau ni nourriture, ni foyer ni famille. Jetés pèle mêle dans la fosse, comme autant de cadavres avant l'heure. Jetés en pâture aux dieux infernaux qui ne tardèrent pas à les asservir. Le triste sort de ceux qui avaient osé offenser le Dieu Créateur.
Pour autant, le mortel est une créature fort tenace. D'une opiniâtreté impressionnante, ces moins que rien rampèrent année après année, jusqu'à bâtir royaumes et villes, tordus et déchirés, mais bien réels. Vouant autant de cultes sordides qu'il n'y avait de folles créatures divines en ces lieux, les tolväari devinrent des peuples à part entière. Et là commença leur Histoire.
Ces hommes et ces femmes, soufrant chaque jour de leur misérable vie, n'eurent pour secours que le vice et la dépravation, se livrant entre eux à des jeux toujours plus douteux, plus glauques, dans leur recherche désespérée de sensations. Ils voulaient vivre, se sentir vivre. Les miséreux se déchiraient comme des chiens, alors que leurs seigneurs, qui se voulaient plus sages, leur préféraient les spectacles d'arènes et les orgies, plus organisés. Bientôt, les concepts plurent à un grand nombre, et toutes les races s’adonnèrent à ce genre de petites réunions sympathiques qui voulaient vous faire oublier l'horreur du dehors, l'odeur pestilentielle de la chair en putréfaction sur les potences et les monstres vecteur de pestes qui rôdaient à chaque coin de bois.
Alors qu'au bout des siècles, certains en étaient venus à imposer leurs vices favoris en lois régaliennes sur leurs terres, on la vit pour la première fois. Un vieux mage avait conté que des voix étranges avaient murmuré son arrivée, comme l'on annonce le retour d'une princesse adulée.
"
L'on aurait dit une femme. Mais son visage n'était à nul autre pareil, et elle irradiait quelque chose qui n'était pas de l'ordre du commun. Il se murmura qu'elle était sorcière, mais c'était pire. Et nous ne le savions pas encore"
Il en avait rêvé, parfois, de cette femme-là. Mais il avait eu la confidence du roi de ce fief, qui n'était autre qu'un chef de guerre réputé pour ses prises sur les territoires voisins. En tant que serviteur, il l'avait écouté d'une oreille compatissante. Lui aussi en avait rêvé. Une femme aux ailes rouges, au regard hypnotique de serpent délicieusement dangereux. Peut-être même n'étaient-ils pas les seuls à avoir été hanté par ce rêve chimérique. Il se pouvait même que ce rêve-là les tourmente depuis...toujours ?
Dans une foudre d'un rouge sang, elle était née, au-dessus de la ville qui deviendrait encore la capitale de ces contrées. Le Maître du Tolväar la sentit prendre forme au travers des trames invisibles de la magie.
Elle.
Elle, un principe féminin, alors même que tant de mâles tolväari méprisaient leurs opposées pour leur faiblesse physique, eux, forces brutes de la nature pervertie. Elle se nomma elle-même "
Jezebbel", un nom qui sonnait fort bien en ancien tolväari. Nue dans un corps de pure magie, incarnée des songes et désormais bien réelle. Couronnée d'or et d'un regard terrible, elle clouait sur place le plus fier des guerriers, assassinait d'un simple sourire la plus jalouse des concubines. Elle était reine, sans même avoir à lever les armes : sa beauté ne venait pas d'ici. Chacun de ses pas la portait en avant avec la souplesse et la grâce d'une panthère, toute son attitude évoquant aux regards médusés des mortels de brûlantes pensées. Un feu aux courbes parfaites qui dévorait à distance tous ceux ayant le malheur de le regarder.
Jezebbel entra chez le roi des hommes, invitée sans jamais l'avoir été, fabuleuse et terrible tout à la fois. Elle avait ce qu'elle voulait : le monde à ses pieds. Des limbes impalpables des songes, elle avait amassé suffisamment de puissance pour exister. Quelle éclatante victoire ! Trophée qu'elle savoura le jour même en consommant sans modération toute cette masse de vicieux délurés qui ne demandait que cela... sans se douter que pour chaque désir comblé, ils perdraient jusqu'à leur liberté, leur volonté : ce qui faisait d'eux des êtres pensants à part entière...
Mais ce que peu savaient, c'était que la sulfureuse Jezebel n'était pas enfant unique, et n'était autre que la cadette divine d'une entité née en Ydrasil, de l'autre côté de Vanalheim : Edeyrïs, l'Amour vrai. Que tous, ici bas, avaient oublié depuis des siècles. Edeyrïs, elle, ne les avait pas oublié, et en secret, nourrissait une peine sincère pour ceux qu'elle ne pouvait sauver. Ce qui comblait d'autant plus sa machiavélique sœur d'âme.
"
Qui êtes-vous ?" fut la première question que le monarque dépravé lui posa. C'était une très bonne question, cela, Jezebbel dut le reconnaître. Mais la déesse ne le gratifia que d'un rire qui dévoila à lui seul son inhumanité.
"
Je suis, susurra la voix éthérée et reptilienne,
tout ce que tes plus honteux rêves n'ont jamais pu te montrer, la quintessence de ton désir et de tes brûlantes passions, je suis reines des corps et des esprits entremêlés. Celle que tous veulent et qu'aucun n'aura. "
Elles les avaient tous pétrifiés d'un seul regard, charmant et taquin. Les armes s'étaient suspendues sans que ceux qui les manient ne songent seulement à l'en menacer. Elle était belle, inimaginablement belle... Aucune créature mortelle ne pouvait espérer se voir gratifier d'une telle perfection dans son incarnation terrestre. La conclusion logique de tous fut donc que la femme étrange n'était pas des leurs.
Une divinité marchait parmi les mortels, mais ses propres desseins restaient troubles. Ceux l'ayant vu crurent à un mirage. Il leur fallut subir son pouvoir jusque dans leurs corps soumis à l'émotion la plus extrême pour comprendre que la Passion était devenu réalité. La naissance de Jezebbel marquait l'avènement de la domination du corps sur l'esprit.
Des années durant, puis des siècles, Jezebbel la tentatrice étendit son influence à la manière d'une armée de rat, rampante et silencieuse. Elle donnait à ceux qui l'adoraient avec suffisamment de ferveur et de dévotion pouvaient espérer voir leurs rêves érotiques se matérialiser sous la forme de créatures chimériques dont les pouvoirs de suggestions émanaient de leur féline maîtresse. Elle était chérie des mâles qui espéraient, même en secret, attirer ses faveurs pour vivre une fois l'extase qu'ils pensaient réservés aux dieux ou aux morts digne d'eux. Mais vint aussi le temps où elle fut vénérée par les femelles, qui escomptaient être choisies par elles pour se voir enseigner ses préceptes en matière de délices charnels pour à leur tour être désirées et admirées de tous.
Consciente de cet ascendant terrible, Jezebbel consentit quelques très rares fois à user de sa magie sur une fille de mauvaise vie, pieuse défenseure de son Art mais trop faible ou trop laide pour n'avoir de réelle influence. L'élue se voyait alors transformée dans sa chair et dans sa nature, perdant à jamais la liberté pour gagner le statu d'Initiée. Là où les divinité ydrasili et silraeni avaient vestales et prêtresses, la Mère des Succubes prenait sous son aile noire ces filles perdues et retrouvées, qui répandaient pour elle vice et luxure en échange de leur pouvoir nouveau.
Mais tous ici ne croyait pas en l'influence véritable de Jezebbel, et les dieux s'en moquaient. Parmi leurs adorateurs, certains des plus machistes et violents pensaient pouvoir aisément résister à l'appel de la chair. Plus de cinq siècles après la première manifestation de l'Esprit débauché, un général d'armée osa blasphémer en public contre une protégée de Jezebbel.
Ils étaient alors à l'aube d'une grande bataille contre le clan ennemi, et leur chef avait cru bon d'inviter aux tables, en plus des ripailles, quelques représentantes de la gente féminine, à qui l'on avait surtout promis une mort douloureuse en cas de rébellion. Les heureuses élues se chargeaient donc de divertir ces braves comme il se devait, quand le trublion déclara qu'il n'était pas satisfait, et que ces femmes ne valaient rien. Devant la mauvaise humeur de certains de ses hommes, il maintint son hasardeux raisonnement, et pour appuyer son propos, désigna leur meneur se prélassant dans les bras d'une mignonne, pour dire tout fort :
"
Regardez comme vous êtes ramollis ! De vrais loques, à cause de ces stupides moins que rien ! "
Les moqueries affluèrent et le chef, courroucé, décapita d'un seul geste la première qui se trouvait à ses côtés.
"
Ramolli ?! Qui est ramolli ?! "
Une déclaration qui ne resta célèbre que grâce à la suite des évènements. Galvanisé par de si sages propos, les bœufs enragés décimèrent les rangs des malheureuses jusqu'à la dernière, laissant les restes aux corbeaux.
Le jour suivant, il fallut lever le camp et monter les rangs, dans les plaines desséchées du Tolväar. Les deux clans se faisaient face, on y trouvait de tout, mais surtout des races agressives qui ne jouissaient que par le sang et les coups de hache. Au son des cors et des tambours, la meute hurlante se rua en avant, dans l'espoir que sa charge rageuse ne pourfendit le front ennemi pour le disperser. C'était ainsi qu'ils faisaient toujours, aujourd'hui n'allait pas déroger à la règle. C'est donc une masse grouillante et hurlante qui déferla dans la plaine, son pendant faisant de même en miroir de l'autre côté. On prévoyait l'impact à mi-distance à peu près, et cela réjouissait tout le monde d'avance tandis que l'on courrait à perdre haleine.
Un étrange sentiment étreignit peu à peu les cœurs habituellement empli de fureur et de rage. Soudain, c'était un parfum enivrant, le sang bouillant dans les veines mais pour biens d'autres raisons que celles que la guerre donnent couramment.
Un orc se saisit du mastodonte en armure qui lui faisait face et le plaqua au sol en lui soufflant :
"
On t'a déjà dit comment tes yeux ils étaient trop beaux ?"
Sous le regard atterré des deux commandants flanqués sur leurs collines, les deux armées se fondirent en une seule, incongrue, agitée, où tous se vautraient sans la moindre gêne pour s'adonner à de curieux loisirs, bien éloignés des étripages que l'on était en droit d'attendre. La scène s'éternisa, les soldats restant sourds à toute la vindictes de leurs supérieurs, devenus comme fous.
Au dessus du champ de bataille apparut alors Jezebbel en personne, six ailes noires serpentant négligemment dans son dos dénudé, suivie d'un cortège de succubes ricanantes. Les deux chefs, réduits à l'impuissance, levèrent le nez vers le ciel crépusculaire ou trônait la déesse victorieuse. Jezebbel les toisa avec mépris, laissant son poison gagner aussi leurs esprits déroutés, avant de déclarer, impériale :
"
Voici le sort de ceux qui méprisent la vérité, mortels : vous vous unirez, contre nature, jusqu'à en mourir, puisque après tout, c'était là votre désir. Ni rédemption ni fuite, savourez votre défaite, elle n'est que le juste prix de votre idiotie. "
Indifférente aux interpellations des deux mortels déboussolés et perplexes, à leurs suppliques enfin lorsqu'ils comprirent la malédiction qui seraient la leur, Jezebbel s'envola encore vers l'assemblée débordante d'une énergie surnaturelle, accompagnée de sa suite toujours hilare.
"
Réjouissez-vous, mortels, je vous offre, dans ma grande mansuétude, la plus belle mort que l'on puisse donner à des créatures de votre genre : le trépas par l'extase ! Profitez-en bien."
Le murmure de cette bataille unique remonta dans les vals et les villages, où l'histoire se transforma plus ou moins de bouche à oreille. On se mit à craindre qu'un tel sort n'échut aux mercenaires et soldats irrévérencieux envers la déesse. La rumeur finit par revenir aux messagers des dieux. Dieux tantôt surpris, tantôt moqueurs ou sceptiques. D'où cet esprit venu des songes pouvait-il tirer pareil pouvoir ? Certains parmi eux furent piqués de curiosité.
On construisit alors, sous les ordres des seigneurs avides, sur l'une des plus hautes falaises qui bordaient la capitale du Tolväar, un immense bâtiment pyramidal, dont les dimensions n'iraient que croissante au fil des âges, devenant de fait un véritable labyrinthe où se perdre n'est que gageure. Le Temple des Fantasmes, aussi nommé le Pinacle par les tolväari et le Mausolée de la Vertu par les autres, est un petit bijou d'architecture, même dans cette vaste chienlit qu'est le royaume du Grand Cornu. On y retrouve une grande dominante de pourpre et d'or, les flammes comme seule lumière. Toutes sortes d'animaux et de créatures étranges et fascinantes peuplent cet endroit vacillant entre plan réel et onirique, où l'on est rapidement rattrapé par son inconscient et les monstres lubriques qui le peuplent. Une débauche de luxe et de faste mystique attend celui ou celle qui parvient à en franchir le seul sans finir dévorer par les lionnes à corps de femme qui gardent sauvagement l'entrée. Et l'on dit, encore, que ceux qui y rentrent n'en sortent pas. Mais n'est-ce pas plutôt parce qu'ils ne désirent plus jamais en sortir...?
Toujours est-il qu'en princesse capricieuse, Jezebbel arrangea elle-même son lieu de culte et en ferma les portes pour ne laisser aux fidèles que de grandes salles élégantes mais vides, où le parfum des encens et des mélanges aphrodisiaques font virer les attentes en torture quand la maîtresse des lieux ne daigne pas prêter attention aux vœux de ses ouailles. La déesse en fit sa demeure, une résidence curieuse et mystérieuse, monde de transes et de danses aussi dangereuses que délicieuses.
Alors que la légende était faite et la risée des clans ennemis plus pérenne encore que leur souvenir, une entité divine décida de quitter son antre pour rejoindre le nouveau palais pourpre qui pointait depuis l'immense falaise. Depuis son trône ouvragé, la reine du Plaisir le sentit venir bien avant qu'il ne se matérialise aux portes de son royaume secret. Elle l'accueillit sous les traits d'une mortelle aux cheveux de jais et au teint d'ébène. Ces choix n'étaient pas les siens, mais bien ceux qui planaient en silence dans les prunelles divines, et la réaction ne se fit point attendre. Féline et provocante, elle répondit en douceur à quelques unes de ses questions, tout en éludant savamment les autres, ne lui laissant que de simples sous-entendus sous la forme de regards entendus. Le dieu, loin d'être sot, compris quel piège l'entité féminine lui posait devant le nez, mais fut contraint de reconnaître que tout dieu qu'il était, la diablesse était bigrement douée. Il était charmé, conquis par cette incarnation de ce qu'il désirait sans même le savoir. Alors, Jezebbel, telle le flûtiste mena ses rats, pris sa nouvelle victime par la main et le guida derrière les lourdes portes d'or qui scellaient l'entrée de son empire.
Ce qu'il y découvrit laissa d'abord le dieu perplexe, puis enjoué et finalement, extatique devant tant de promesses indicibles. Jezebbel lui montra l'étendue du Temple, en vérité mystérieusement beaucoup plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur, tout en lui contant les fonctions et les origines de chacun des lieux qu'elle y avait ajouté. Fasciné, le mâle se laissant saisir par le fauve. Mené par ses envies qu'il ne cherchait plus à tenir, il demanda à sa guide si elle avait réellement tout le talent qu'on lui donnait...
Avec un petit rire cristallin, Jezebbel répondit qu'elle se faisait une joie de le lui prouver.
Lorsque le divin fut relâché par sa geôlière, puisque contrairement aux mortels, elle ne pouvait le retenir indéfiniment, il alla conter à son allié le plus proche les merveilles honnies que la femmes aux mille visages lui avait dévoilé. Un autre qui n'en crut rien.
"
Tu t'es fais avoir, lui dit-il,
par la reine des illusionnistes peut-être ! Mais par une déesse, certainement pas. "
Et il prit à son tour la direction qu'on lui indiquait, survola l'immense capitale sous la forme d'un brouillard furieux, et rejoignit les falaises pour y constater l'existence de l'endroit. Il se métamorphosa en une créature repoussante, d'une race mortelle dont on oubliait souvent le nom, et se présenta comme tel devant le Temple.
Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu'il vit apparaître, après une attente qui lui parut fort longue, une chose qu'il n'aurait jamais pensé voir de son vivant : une créature angélique tout droit sortie d'Ydrasil, rayonnante et auréolée de lumière. L'apparition descendit vers le monstre et commença à lui faire du charme sans la moindre hésitation.